06avr. 2012

Vague répressive sur les réseaux sociaux chinois

Flag_of_China.pngLa chine s’est encore illustrée ces derniers jours dans le contrôle d’internet. A la suite de rumeurs propagées par les réseaux sociaux locaux QQ, et Weibo[1], l’autorité de contrôle d'internet a suspendu les commentaires jusqu’au 3 avril. L’internet chinois est d’ores et déjà parmi les plus contrôlés. Des sites comme Youtube, Facebook, ou le service Twitter sont inaccessibles. Cette fois, le pouvoir a tenté de bloquer des rumeurs de «coup d’état» à la suite du limogeage de Bo Xilai, un cadre du parti qui prétendait au pouvoir suprême, et de messages faisant état de coup de feu et de mouvements de blindés à Pekin.

Depuis la fin de l’année, les autorités ont ordonné aux utilisateurs de Weibo de s’inscrire sous leur identité réelle, coupant court à toute possibilité de pseudonyme, et donc à l’anonymat.

Il est marquant de noter que l’agence Chine nouvelle a fait état d’une campagne baptisée «Brise de printemps» pour désigner une opération de cyber-répression depuis février; le bilan fait état de l’interpellation de 100 suspects, de la suppression de 200.000 messages et l’avertissement de 3000 sites.

Cette "brise" amènera t-elle de la douceur, ou du ressentiment ?

Note

[1] 300.000 utilisateurs

Physionomie de l’internet chinois

Le nombre d’internaute en Chine dépasse 35% de la population[1]. Les internautes chinois étaient fin 2010 457 millions; ce chiffre fait de la Chine le pays possédant le plus d’internautes au monde, devant les Etats-Unis. Les terminaux mobiles permettant l'accès à internet étaient fin 2010 au nombre de 303 millions.

Le réseau internet est pourtant profondément différent de celui que l'on trouve à peu près partout ailleurs. En effet, le pouvoir a installé un pare-feu[2] à l'échelle du pays, baptisé le grand pare-feu de Chine (en allusion à la muraille...). Un grand nombre de sites sont bloqués, et de nombreux mots ou expressions également (par exemple "Dalaïlama" ...). D'autre part les entreprises qui gravitent autour du réseau, étrangères ou non, ont obligation de coopérer totalement, ce qui valu le retrait de Google au début de 2010. D'autres tel Yahoo, collaborent avec les autorités chinoises[3].

En définitive, l’internet chinois est d’abord perçu par les autorités comme un mass-média. A ce titre, il fait l’objet des mêmes contrôles que le reste de la presse par les appareils d’état. L’opinion publique est guidée par des «internet commentator» dont le rôle est de promouvoir la ligne officiels du parti dans les différents commentaires et productions d’internet [4]

Les moyens de contournement et la résignation

Il existe des moyens techniques de contourner toutes ces limitations. Les proxy, serveurs qui servent d'intermédiaires, placés à l’extérieur du pare feu permettent par exemple d'accéder à un internet dépourvu de censure. Cependant ce service n'est pas gratuit (une trentaine d'euros d'euros par an ou plus, soit l'équivalent d'un salaire hebdomadaire d'un ouvrier), et demande, si les connaissances nécessaires pour les mettre en œuvre ne sont pas compliquées, un minimum de volonté. Car outre la possibilité d'être ennuyé par les autorités chinoises, la recherche du contournement de la "cyber-muraille" chinoise ne motive pas les chinois qui se satisfont dans leur majorité du service tel quel. D'une part les commentateurs usent d'images et de métaphores pour exprimer leurs opinions (quitte à voir les surnoms donnés aux hommes politiques locaux être filtrés par la suite) . D'autre part les critiques ne sont pas toujours étouffées, le gouvernement veut donner l'impression de prendre en compte les revendications.

Le dilemme du dictateur: quel avenir pour l'internet chinois ?

Finalement, grâce à un encadrement strict du réseau et des annonces du gouvernement qui laissent penser que le pouvoir est à l'écoute du peuple[5], cet internet édulcoré et débarrassé de prose subversive satisfait le plus grand nombre. Dans le paysage politique chinois, Internet apparait dès lors comme en cohérence avec le gouvernement.

Combien de temps cet internet édulcoré pourra coexister avec le désir d'émancipation du peuple ? Ce dilemme a été soulevé par George Shultz, secrétaire d'état américain:

Totalitarian societies face a dilemma: either they try to stifle these technologies and thereby fall further behind in the new industrial revolution, or else they permit these technologies and see their totalitarian control inevitably eroded. In fact, they do not have a choice, because they will never be able entirely to block the tide of technological advance.

George Shultz, 1985

Selon Shultz, ou les dictateurs acceptent d'ouvrir leur pays aux nouvelles technologies de l’information, en favorisant ainsi la liberté de penser et fragilisant leur pouvoir, ou ils refusent l'accès à ces technologies et s'effondreront en ratant cette révolution industrielle.

Au contraire de la Libye, de la Tunisie, ou de la Corée du Nord, la trajectoire chinoise semble avoir adoptée une voie médiane, dans laquelle le pouvoir multiplie les efforts pour contrôler et aseptiser le réseau des réseaux. Face à des Chinois encore résignés qui sont encore en phase d'appropriation de ces nouvelles technologies, les autorités parviennent à maintenir une discipline générale dans le cyberespace chinois. Il apparait cependant qu'Internet peut constituer une importante caisse de résonance aux états d’âmes qui ne manqueront pas de se manifester dans les années à venir.

Le passage d'une croissance à deux chiffres, à un régime de croisière, avec les problèmes économiques et sociaux associés risque en effet de changer profondément la donne, à un horizon d'un décennie.

Notes

[1] Voir ce graphique pour comparer la pénétration d’internet en France, Chine et en Inde.

[2] Les pares-feux sont des dispositifs techniques qui visent à contrôler l'entrée et la sortie réseaux des systèmes informatiques

[3] Yahoo aurait fourni la correspondance d'un dissident qui a été condamné à 10 ans de prison, l'histoire ici.

[4] «wanglo pinglun yuan», personnes qui gagnerait 50 cents à chaque messages sympathisant avec le pouvoir chinois, une dépêche AFP décrivant le phénomène ici.

[5] par exemple, à la suite de plaintes de l'opinion publique, en tentant d’enrayer la flambée des prix de l'immobilier dans les villes.

aucun commentaire

Fil des commentaires de ce billet

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://cyber-defense.fr/blog/index.php?trackback/12