23mar. 2012

Quels choix technologiques pour l'identification ?

Le livre blanc de la défense et la sécurité nationale de 2008 avait introduit une cinquième fonction clé de notre outil de défense: connaître et anticiper. A la lumière des opérations récentes (Libye, Afghanistan, Sahel), ce cinquième pilier de notre défense apparaît indispensable; néanmoins il nécessite des investissements importants dans un certain nombre de capacités qui n’ont pas à ce jour été totalement réalisés. Ainsi dans le domaine de l’identification (et principalement lors de projection de puissance), sur quelles capacités se concentrer dans les quinze prochaines années ?

Un budget d'équipement contraint empêche une totale autonomie de moyens dans le vaste spectre technologique que recouvre l’identification. Ce contexte nous porte ainsi à rechercher des partenariats européens afin de récolter les bénéfices que les nouvelles technologies ne manqueront pas d’apporter dans les prochaines années à la conduite des opérations.

Après avoir évoqué les problèmes actuels que pose l’identification, nous examinerons les solutions technologiques dans lesquels nos efforts devraient se concentrer, enfin nous proposerons un cadre pour assurer un compromis entre souveraineté et efficience des solutions choisies.

Les problèmes actuels posés par l’identification

L’identification comme capacité à caractériser les positions, matériels, signatures de l'ennemi pose aujourd’hui un problème stratégique: celui de notre indépendance, un problème opératif: celui du rétrécissement du temps, et enfin tactique: celui de la précision et de la permanence.

Sans les capacités de connaitre la menace, tout outil de défense est voué à la dépendance. Or la France a l’ambition de peser dans les relations internationales et de jouer le rôle de nation cadre voire, revendique la capacité à entrer en premier dans une opération multinationale. En conséquence, il est nécessaire de posséder en propre les capacités d’identification indispensables aux éventuelles projection de puissance. En 2003, nos moyens satellitaires on permis de recouper les données américaines quand à l’éventuelle possession d’armes de destruction massive par l’Irak, le politique a pu ainsi prendre en toute connaissance de cause la décision de ne pas participer à l’invasion menée par les Etats-Unis.

A cette exigence d’indépendance qui reste un principe constant avec le temps, une nouvelle tendance des opérations militaires a émergé: celle d’un accroissement spectaculaire de la précision des armements. Avec une hausse constante de l’urbanisation, conjuguée à un enchevêtrement des combattants dans le milieu civil, ce besoin de données précises et adaptées à un univers toujours plus numérique est devenu un préalable à tout engagement. Il réclame donc des modèles cartographiques en 3 dimensions dotés d’une grande précision, et recouvrant le domaine physique et visible mais également électromagnétique. Cette numérisation complète du champ de bataille en très haute définition offre un cadre qui garantit la précision des frappes et minimise les risques de dommages collatéraux.

Enfin la dernière contrainte que subissent nos systèmes d’armes aujourd’hui est celle du temps. Cette contrainte est double. Le temps est étiré: c’est à dire que plus un capteur est capable de rester longtemps à un endroit, plus il contribue à l'efficacité des frappes en levant le brouillard de guerre. Et d’un autre coté la boucle décisionnelle subit de fortes contraintes: le temps entre la détection, l’analyse, et le traitement d’un objectif se doit de diminuer. Surtout lors de guerres dissymétrique, guerre d'usures par excellence, l’action de l'ennemi est courte et ciblée. A cette fugacité il est nécessaire d’opposer la permanence et la réactivité de nos moyens. Les technologies de liaison de données apparaissent comme fédératrices et multiplicatrices de ce paradigme. Elles devront permettre de distribuer les données à tous les échelons, des TACP[1] aux pilotes jusqu’au commandement des opérations en offrant la possibilité de partage au sein d’une coalition. La France doit participer aux études et recherches concernant le successeur de la liaison 16.

Ces contraintes nous portent donc à proposer les domaines d’évolutions techniques suivants.

Capacités embarquées, drones et espace

Dans le domaine du renseignement électromagnétique, la récolte de données en provenance des théâtres potentiels est fondamentale afin de préparer les bibliothèques qui serviront à caractériser la menace, et in fine, la neutraliser et/ou la brouiller. En conséquence il est absolument nécessaire de garder cette capacité des pods ASTAC; non seulement en les adaptant sur mirage 2000 et/ou Rafale, mais aussi en travaillant à un successeur, opérant dans un plus large spectre, et éventuellement adaptable sur d’autres vecteurs: A400M, avions de transport tactiques. Le renseignement d’origine électro-magnétique est fondamental pour des forces armées n’ayant pas de capacité SEAD (Suppression of Enemy Air Defense) comme la France.

La deuxième technologie prioritaire devrait ensuite être celle des drones. Les drones présentent de nombreux avantages, dont celui d’offrir la maîtrise du temps. Pourvus d’une grande endurance, ceux-ci peuvent accompagner les temps forts des opérations aériennes; surveillance, ciblage, analyse des résultats des frappes (boucle OODA). Ils enrichissent particulièrement les moyens à disposition des décideurs et des combattants pour la préparation, la planification, la conduite et l’évaluation des opérations. La France a un besoin urgent d’un drone de type MALE (Moyenne Altitude, Longue Endurance). Celui-ci devrait être modulaire, c’est à dire pouvoir recevoir plusieurs types de charges utiles: notamment des capteurs optroniques, infrarouge, des radars imageurs à synthèse d’ouverture, des détecteurs de cibles mobiles, mais aussi, des brouilleurs ou désignateur laser. La plupart des capacités technologiques sont déjà maîtrisées par la base industrielle et technique de défense européenne, il reste à lancer leur intégration dans un grand programme de drone multi-mission modulable, qui permettrait une évolution en cycles courts des capacités de la plate-forme.

Enfin, le défi technologique le plus ambitieux est celui de l’espace. L’espace permet de s’affranchir des distances et des autorisations de survol et offre au décideur une vision stratégique et globale. D’autre part, la maitrise de l’espace est devenue un pré-requis pour l’utilisation d’une large gamme de technologies. Au delà du renseignement, l’espace assure de manière indirecte le soutien des drones et de nombreux armements par les liaisons satellitaires et le positionnement. En plus d’une forte implication à côté de technologies duales qu’il ne faut pas négliger (Gallileo, satellites de communications), la France doit poursuivre son effort dans les capacités d’observations militaires. A ce titre le programme MUSIS et le démonstrateur ELISA sont deux programmes cruciaux sur lesquels l’Etat doit continuer d’investir. Parallèlement, la technologie de constellation de micro-satellites parait à même de résoudre l’équation permanence/coût. L’utilisation de la plate-forme Myriade du CNES permettrait de se concentrer sur la charge offerte.

Ces technologies méritent donc un investissement de la France, toutefois, il faut également en parallèle, favoriser les conditions d’entrée en service de ces futurs matériels en leur donnant un cadre à même d’assurer un emploi optimal pour un coût maîtrisé.

moyensapatiauxfrancaisr.png Moyens militaires spatiaux français à la date de février 2012

Un cadre pragmatique, prônant l’optimisation des forces

En raison des contraintes budgétaires qui ne manqueront pas de peser sur les dépenses militaires d’équipement, les choix des armées doivent être raisonnable et sans dogmatisme. Le cahier des charges ne doit pas être une surenchère, qui conduirait à une élongation financière et temporelle d’un programme. Au contraire, il apparaît nécessaire de définir un premier standard simple, robuste et évolutif, et exiger dans le contrat une option de modernisation du système autour de périodes de l’ordre de 3 à 4 ans. Dans ces domaines à très haute valeur ajoutée, il apparaît vain de vouloir obtenir un équipement qui restera compétitif pendant 10 ou 15 ans. Par ailleurs, si pour certaines capacités, il apparait absolument nécessaire d’encourager une industrie nationale ou européenne, cette logique ne doit pas être une fin en soi au détriment de nos capacités opérationnelles. Ainsi l'achat sur étagère ne doit pas être tabou: le choix de l’intégration du drone Heron TP Israélien par Dassault apparaît à ce titre bien peu pertinent. D’une part le choix du ministre sensé favoriser l'émergence d’une industrie nationale de drone, ne permet pas d’atteindre les capacités requises. De plus, le héron TP modifié par Dassault constitue un deuxième «drone intérimaire» dont la première livraison laisse entrevoir un vide capacitaire entre 2013 et 2015. D’autre part l’expérience du drone Harfang dont la base provient de la même entreprise AIA, a montré que les transferts technologiques n’étant en rien garantis[2].

Système FITS (c) Airbus Military Le système de mission FITS utilisable dans les CN235 de l'armée de l'air

Il faut ajouter que l’emploi de ces technologies doit être optimisé. Les moyens actuels sont disséminés principalement entre l’armée de l’air et la marine. Cette séparation apparait désuète et digne d’une guerre de clocher. Les opérations aux Sahel montrent que la surveillance du désert est similaire à celle de l’océan et phagocyte une grande quantité d’heure de nos Atlantic 2. Cette mission pourrait être assumée par des plateformes moins onéreuses: avion de transport tactique légers de l'armée de l’air comme le CN235 pour peu qu’on les dote du système de surveillance ad-hoc[3] utilisé par de nombreux autres pays utilisant cet aéronef, ou des drones. Ces plateformes de surveillance de l’armée de l’air pourraient être utilisées au large de la Somalie pour l’opération Atalante. Outre-mer, les CN235 servent déjà a effectuer de la surveillance maritime avec un système de pistage AIS[4]. Par ailleurs ce service de surveillance pourrait également être mis à disposition d’autres ministères: intérieur au profit des forces de sécurité, et finance au profit des douanes. Cette utilisation pourrait ainsi se faire lors de missions d'entraînement, entraînant des économies comme l’a récemment souligné un rapport parlementaire.

Si la définition du besoin et le mode d’achat peuvent favoriser le rendement, l’autre condition propre à générer des économies est celle du partenariat. Membre de l’OTAN, de l’union européenne, possédant des liens bilatéraux avec de nombreux pays, la France est capable d’inscrire ces acquisitions suivant plusieurs schémas de partage. Cependant l’expérience récente en matière de programmes d’armement a démontré qu’il n’est pas toujours efficace de chercher un développement entièrement partagé. Au contraire, il apparaît que des matériels acquis au niveau strictement national, mais avec un soucis de partage ultérieur représente le meilleur compromis entre rapidité d'exécution du contrat et satisfaction du besoin. Cette manière de coopérer: viser un développement rapide en s'affranchissant des tours de tables pénalisants, tout en préparant les conditions d’une coopération future à tout lieu d’être le mode de synergie le plus efficace en l’absence de volontés fermes. Au sein de ces partenariats, l’agence européenne de défense pourrait jouer un rôle de premier plan en favorisant l’interopérabilité, le partage et la mutualisation des programmes «isolés». Ainsi dans le domaine de l’imagerie satellitaire, l’initiative MAGIIC qui permet a chaque pays (Espagne, Allemagne, Italie, voire ...) de développer ses propres vecteurs en établissant les bases de l’interopérabilité des données recueillies et la compatibilité des segments sols doit être saluée.

En définitive, l’apparition de la fonction connaissance et anticipation dans le livre blanc de la défense et de la sécurité nationale n’a pas réellement donné d’élan dans les technologies qui permettraient de maîtriser cette fonction. Certaines capacités risquent d’être perdues et il apparaît urgent de relancer un plan d’équipement pragmatique et réaliste économiquement.

Notes

[1] Tactical Air Control Party, spécialiste du contrôle aérien qui dirige le feu sur le théâtre et assure la coordination des acteurs aériens en interaction avec les troupes au sol, voire ce lien

[2] A cet égard, le parlement a déposé un amendement afin de faire revenir le ministère en arrière, voir cet article

[3] système FITS d'Airbus Milary par exemple, description en anglais ici

[4] Cette technologie permet de suivre les bateaux ayant une antenne et affichant un code particulier, explications ici

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